Tuesday, 28 June 2011

Christophe Guignard - Julius Africanus et le texte de Luc 3, 24


     Dans les manuscrits et les éditions modernes du NT, la généalogie de Luc 3, 23-38 nomme après Joseph, dans l’ordre ascendant : Héli, Matthat, Lévi, Melchi. Il a été depuis longtemps remarqué que Julius Africanus et d’autres auteurs patristiques omettent les noms de Matthat et de Lévi au verset 24 et font de Héli le fils de Melchi. Alors que la généalogie compte 77 noms dans la plupart des manuscrits du NT, cette omission a parfois été rapprochée du total de 72 noms qu’elle compterait selon Irénée (Adv. Haer. III, 22, 3). Africanus serait ainsi un témoin d’un texte plus court, potentiellement ancien.
     Il est cependant possible de montrer que les autres auteurs cités comme témoins de l’omission de Matthat et de Lévi dépendent en fait d’Africanus sur ce point. Cette omission est en effet liée à la solution qu’Africanus propose dans sa Lettre à Aristide pour concilier les généalogies de Matthieu et de Luc : celle-ci se fonde sur un récit qui fait intervenir le lévirat et conduit à lire la généalogie de Matthieu comme naturelle et celle de Luc comme légale. Or ce récit suppose qu’Héli est fils de Melchi. Il faut cependant souligner qu’Africanus ne fait que recueillir ce récit et n’en est pas l’auteur. D’une façon très naturelle, les auteurs qui reprennent cette solution, comme Eusèbe de Césarée ou Ambroise de Milan, reprennent aussi la filiation Héli – Melchi.
     Par ailleurs, un nouveau fragment de la Lettre à Aristide (intégré dans la nouvelle édition à paraître en juillet 2011) apporte sur ce point un éclairage intéressant : il contient une allusion à Matthat qui prouve qu’Africanus connaissait le texte long de Luc 3, 24.
     Il s’avère ainsi que l’omission de Matthat et de Lévi est liée à une tradition exégétique qu’Africanus transmet, mais dont il n’est pas l’inventeur. Il est difficile d’évaluer l’importance du texte particulier de Luc 3, 24 que suppose cette tradition, qui pourrait aussi bien représenter une variante ancienne que l’écho d’une simple erreur de copie. En tout état de cause, cependant, le texte court de Luc 3, 24 ne saurait se prévaloir d’un fort appui patristique et le rapprochement avec le chiffre de 72 noms cité par Irénée reste approximatif et purement conjectural. Sa diffusion, limitée à la littérature exégétique, n’est due qu’au succès de la solution proposée par Africanus pour concilier les généalogies de Matthieu et de Luc.

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